Déclaration de l'ambassadeur Martin Kimani (Kenya) à une session d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur la situation en Ukraine

Elisabeth Kozlowski - L'ambassadeur du Kenya aux Nations unies s'est attiré de nombreux éloges pour un discours puissant comparant l'agression de la Russie contre l'Ukraine à la façon dont les pays africains ont émergé du colonialisme. Il a profité de son intervention lors d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU pour avertir Vladimir Poutine de respecter la frontière entre la Russie et l'Ukraine et souligner les dangers d'attiser les "braises d'empires morts". Un clip de son discours, prononcé quelques heures après que Vladimir Poutine ait réécrit l'histoire de l'Europe de l'Est dans un discours décousu, a été visionné plus de 3 millions de fois sur un fil Twitter.

[Source en anglais : https://www.americanrhetoric.com/speeches/martinkimaniunitednationsrussiaukraine.htm]

[Traduction en français : Elisabeth Kozlowski, Cercec]

22 février 2022

 

Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je remercie la Secrétaire générale adjointe Rosemary DiCarlo pour son exposé.

Nous nous réunissons ce soir au bord d'un conflit majeur en Ukraine. La diplomatie que nous avons préconisée le 17 février échoue. L'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine sont violées. La Charte des Nations Unies continue de se flétrir sous l'assaut incessant des puissants. À un moment donné, elle est invoquée avec révérence par les mêmes pays qui lui tournent ensuite le dos pour poursuivre des objectifs diamétralement opposés à la paix et à la sécurité internationales.
Lors des deux dernières réunions sur la situation en Ukraine et le renforcement des forces de la Fédération de Russie, le Kenya a demandé instamment que l'on donne une chance à la diplomatie. Notre appel n'a pas été entendu et, plus important encore, l'exigence de la Charte selon laquelle les États doivent régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques de manière à ne pas mettre en danger la paix et la sécurité internationales et la justice a été profondément compromise.
Aujourd'hui, la menace ou l'utilisation de la force contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de l'Ukraine a été mise à exécution. Le Kenya est gravement préoccupé par l'annonce faite par la Fédération de Russie de reconnaître les régions de Donetsk et de Louhansk en Ukraine comme des États indépendants. Nous estimons que cette action et cette annonce portent atteinte à l'intégrité territoriale de l'Ukraine.Nous ne nions pas qu'il puisse y avoir de graves problèmes de sécurité dans ces régions. Mais ils ne peuvent pas justifier la reconnaissance aujourd'hui de ces régions comme des États indépendants - pas quand il y a de multiples voies diplomatiques disponibles et en cours qui ont la capacité d'offrir des solutions pacifiques.

Monsieur le Président,

Cette situation fait écho à notre histoire. Le Kenya et presque tous les pays africains sont nés de la fin d'un empire. Nos frontières n'ont pas été tracées par nous-mêmes. Elles ont été tracées dans les lointaines métropoles coloniales de Londres, Paris et Lisbonne, sans aucun égard pour les anciennes nations qu'elles ont séparées.
Aujourd'hui, de l'autre côté de la frontière de chaque pays africain, vivent nos compatriotes avec lesquels nous partageons de profonds liens historiques, culturels et linguistiques. Au moment de l'indépendance, si nous avions choisi de créer des États sur la base de l'homogénéité ethnique, raciale ou religieuse, nous serions encore en train de mener des guerres sanglantes plusieurs décennies plus tard.

Au lieu de cela, nous avons convenu que nous nous contenterions des frontières dont nous avons hérité, mais que nous poursuivrions l'intégration politique, économique et juridique du continent. Plutôt que de former des nations qui regardent l'histoire avec une dangereuse nostalgie, nous avons choisi de regarder vers un avenir de grandeur qu'aucune de nos nombreuses nations et aucun de nos nombreux peuples n'avait jamais connu. Nous avons choisi de suivre les règles de l'Organisation de l'unité africaine et la charte des Nations unies, non pas parce que nos frontières nous satisfaisaient, mais parce que nous voulions quelque chose de plus grand, forgé dans la paix.

Nous pensons que tous les États issus d'empires qui se sont effondrés ou retirés comptent de nombreux peuples qui aspirent à s'intégrer aux peuples des États voisins. C'est normal et compréhensible. Après tout, qui ne souhaite pas être uni à ses frères et avoir un but commun avec eux ? Cependant, le Kenya refuse que cette aspiration soit poursuivie par la force. Nous devons achever notre rétablissement des braises des empires morts d'une manière qui ne nous replonge pas dans de nouvelles formes de domination et d'oppression.

Nous avons rejeté l'irrédentisme et l'expansionnisme sur quelque base que ce soit, y compris les facteurs raciaux, ethniques, religieux ou culturels. Nous -- Nous le rejetons à nouveau aujourd'hui. Le Kenya exprime sa vive préoccupation et son opposition à la reconnaissance de Donetsk et de Louhansk en tant qu'États indépendants. En outre, nous condamnons fermement la tendance, au cours des dernières décennies, des États puissants, y compris des membres de ce Conseil de sécurité, à violer le droit international avec peu d'égard.

Le multilatéralisme est sur son lit de mort ce soir. Il a été attaqué aujourd'hui comme il l'a été par d'autres États puissants dans un passé récent. Nous appelons tous les membres à se rallier au Secrétaire général en lui demandant de nous rallier tous à la norme qui défend le multilatéralisme. Nous lui demandons également d'user de ses bons offices pour aider les parties concernées à résoudre cette situation par des moyens pacifiques.
Permettez-moi de conclure, Monsieur le Président, en réaffirmant le respect du Kenya pour l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues.

Je vous remercie.